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Hospices de Beaune

Inoubliable : le millésime 2020 aux Hospices de Beaune selon Ludivine Griveau

Ludivine Griveau, régisseur des Hospices de Beaune
Ludivine Griveau, régisseur des Hospices de Beaune

PREAMBULE

Il m’a rarement été aussi difficile de mettre par écrit la synthèse d’un millésime que celle de 2020. Parce qu’il y a tellement de choses à en dire, à tenter de retranscrire, parce que le résumer à de simples éléments climatiques et végétatifs ne suffiront pas… Le contexte prend tout son sens et sera souvent évoqué ici, parce qu’il a aussi guidé nos esprits et nos coeurs tout au long de la campagne. Je le ressens comme indissociable du reste, et ce « contexte 2020 » fait incontestablement parti de l’ADN de ce millésime aux émotions garanties. Les raisons ne manquent pas, et la crise sanitaire mondiale est dans tous les esprits. Pourtant, tout avait bien commencé, à en croire les voeux de début d’année où chacun y allait de son jeu de mot sur le millésime « vin-vin ». Un bon présage ?

Et puis, tout comme nos bourgeons ont éclaté, la planète s’est confinée ; tout comme la vigne s’est parée de feuilles vertes, nos soignants menaient bataille… si nos gestes ont, durant toute l’année, été dédiés à être aux petits soins pour la vigne, nos esprits sont demeurés tournés vers eux, dédiés aux nôtres de « petits » soins, vers ceux aux gestes sûrs qui sauvent des vies chaque jour.

Sur fond d’humilité, l’esprit de notre équipe est plus fort que jamais : comment se plaindre ? Nous sommes au travail, dans nos vignes, et en plein air…#lavignecontinue.

Spontanément, sans avoir à se le dire, toute l’équipe s’est investie avec passion afin de tout surmonter, pour aboutir à de beaux raisins, en faire de Grands Vins, pour, encore plus cette année, notre grande cause, notre hôpital, nos soignants.

Climatologie et cycle végétatif

Après un automne et un hiver des plus doux, la vigne affiche ses premiers signes de reprise dès la mi mars… alors que la planète s’arrête. C’est donc munis de laisser-passer que nous nous activons à finir de plier les baguettes car, dès le 20 mars, les bourgeons de chardonnay gonflent dans leur coton. Depuis 6 mois (oct-mars), il fait doux : au plus froid nous avons eu -5°C dans l’hiver et sur seulement une journée. La chambre d’agriculture nous précise même que seuls 7 jours sur la période ont affiché en dessous de zéro, c’est confortable, mais inquiétant.

Sans vraiment le mesurer sur l’instant (les esprits sont accaparés par ailleurs, il faut bien faire l’école aux enfants !), 2020 s’annonce comme un record de précocité, en tout point. L’automne-hiver ayant été plus arrosés que la normale (+90mm), les sols sont dans de bonnes conditions hydriques et nous permettent de faire un premier travail de labour superficiel dès la fin mars. Cette année encore, les risques de gelée planent sur nos petites pointes vertes et nous font mal dormir. C’est presque devenu « routinier », avec très peu de mesures écran possibles ! En effet le brûlage de paille, controversé, discutable, non adapté peut-être, laisse place aux projets d’achats groupés d’éoliennes et de bougies. Les côtes viticoles s’organisent et si quelques nuits frôlent les -2°C, elles ne laisseront pas de dégâts significatifs dans nos parcelles.

Malgré un début avril frais, 2020 est le millésime dont le démarrage est le plus rapide de ces 25 dernières années. Avec 42h d’excédent d’ensoleillement, une 2ième décade d’avril à plus de 23°C, nos vignes explosent de végétation ! Il faut se hâter d’ébourgeonner car les bourgeons auront vite laissé place aux feuilles. Quant aux dédoublages, ils se font dans le même temps. Nous sommes alors confrontés très tôt aux choix à faire en terme de quantité de récolte à laisser sur la baguette. Ainsi, nos chardonnay garderont un peu plus d’yeux sur leur baguette et les pinot noirs seront conduits avec un objectif plus mesuré dans les rendements visés. C’est un pari qui se joue chaque année à cette époque.

5ieme semaine de confinement, la vigne continue, c’est sûr, à plein régime. Pour préparer ces lignes, je relis mes notes, mon agenda, … il affiche « PN 3/4F » et « CHA 5/6F » au 14 avril ! L’état sanitaire est suivi de près et le 1er traitement n’est pas encore d’actualité. En effet le vent et le temps sec (moins de 3mm sur le mois) sont nos alliés, l’un assainit, l’autre amenuise le potentiel de sortie des maladies.

Nos visites parcellaires montrent une assez grande disparité dans les stades végétatifs d’une parcelle à l’autre, mais ils sont plutôt réguliers au sein d’une même parcelle. La précocité est désormais bien ancrée dans les esprits, la chambre d’agriculture indique que cela ne serait arrivé que 6 fois en 80 ans et 2020 compte 24 jours d’avance sur 2019 en date du 21 avril ! Malgré un déficit de pluie sur avril (-35mm), les sols conservent un bon statut hydrique. En mai, la dynamique de pousse est intense mais régulière (environ 2 feuilles par semaine), la surface foliaire s’étend, les vignes sont denses, belles, bien vertes. La première protection à base de cuivre et soufre se positionne ainsi fin avril car nous voyons déjà les inflorescences sur les rameaux qui s’allongent à une allure inédite. Il faut protéger nos futures fleurs. A peine a-t-on fini d’ébourgeonner que le relevage doit commencer dans certains chardonnays, nos Meursault 1er cru Genevrières par exemple. Entre le 16 et le 25 mai, après enfin un peu de pluie (40 mm), la fleur est passée à une vitesse fulgurante, sous une chaleur écrasante et ce, aussi bien pinot noir qu’en chardonnay (contre les 4 à 8 juin sur la moyenne des 30 dernières années). Le 21 mai, l’air embaume le dé-confinement et la fleur de vigne, le renouveau se dessine. Au 25 mai, les capuchons sont, bien souvent, tombés, il fait chaud et le vent demeure.

À noter que le vent est désormais une composante climatique importante, non seulement de ce millésime, mais également des précédents. Depuis quelques années, il est assez « nouveau » en Bourgogne d’avoir ce vent tous les jours et quasi toute la journée. S’il est notre allié pour le maintien du parfait état sanitaire de 2020, il nous laisse cependant moins de répit, comprenez moins de « fenêtres » météo, pour l’application de nos traitements. Les données des prévisions météo sont encore plus scrutées. Le vent a aussi pour conséquence de sécher nos terres, en surface tout du moins, les rendant parfois difficiles à travailler car ils durcissent. Malgré cela, la réserve hydrique est satisfaisante à ce stade de l’année.

Début juin, malgré un temps plus perturbé, les conditions sont favorables à une nouaison fulgurante ! On voit apparaitre une variation notable de stades au sein d’une parcelle, et parfois en chardonnay, le phénomène de coulure est marqué, les structures des grappes sont longues et aérées, et le millerandage n’est parfois pas négligeable. Les conditions préfloraison ayant été plus favorables au pinot noir, il a mieux passé le cap et ses baies sont de taille plus régulières. Le pinot reprend un peu d’avance sur le chardonnay précisément à ce moment-là du cycle végétatif.

Nos enfants retrouvent le chemin de l’école, de leurs vies sociales, le tout sous un ciel qui affiche un cumul de plus de 180h d’excédent d’ensoleillement en 2 mois. En moins d’une semaine, les baies atteignent 4 à 5 mm, la levée de toute contrainte est observable même aux vignes ! Nous avons désormais 24 jours d’avance sur 2019. Il en découle rapidement que les congés d’été devront se réadapter car, dans mon for intérieur, l’idée d’une date de récolte autour du 20 août fait son chemin! A voir…

Fin juin, les températures sont élevées, l’été est là ; quelques pluies, irrégulières et très localisées, contribuent à une mise à disposition des nutriments du sol dans un parfait timing. La vigne est flamboyante, verte, son feuillage est dense et reste tourné vers le soleil. Selon le déroulé de l’été, les prévisions des profils de pousse sont incertaines mais déjà fin juin, mes yeux scrutent les premières baies vérées. L’état sanitaire est excellent, aucune trace de mildiou car pas de pluies (déficit de 50mm en moyenne depuis janvier) et l’oïdium n’a pas altéré la récolte, même s’il rôde un peu sur feuilles.

Les conditions estivales de juillet accélèrent la pousse, et les entre-coeurs doivent être enlevés afin de raisonner la densité du volume foliaire. Toutefois, afin d’équilibrer le feuillage, nous faisons le choix de ne pas effeuiller la zone fructifère et ainsi de bénéficier des effets d’ombre et de fraîcheur à l’échelle du pied lui-même. Quand cela est possible, nous essayons aussi de rogner plus haut (et moins serré sur les côtés) afin de profiter de l’ombre portée des rangs voisins. Si besoin était d’illustrer, qu’à ce stade, la vigne ne manque de rien (et nous prend au mot #lavignecontinue !), il y a beaucoup de verjus en haut des rameaux principaux, et même de jeunes raisins sur les entre-coeurs, témoins d’une grande vigueur et mise en fruit du millésime.

Au 15 juillet, la chambre d’agriculture 21 indique que 2020 est le millésime le plus précoce jamais enregistré et que les prévisions météo à venir n’inverseront pas la tendance. Cela se confirme rapidement avec toutefois beaucoup de contraste dans le début de la véraison d’une parcelle à une autre. Les travaux du sol ont été arrêtés car il s’agit désormais d’y piéger l’humidité résiduelle. Les stades physiologiques observés au 21 juillet sont dignes d’un 5 août d’habitude… nous préparons activement la cuverie et les commandes de futaille sont passées plus tôt !

La récolte se profile comme plutôt généreuse et la véraison évolue très vite fin juillet. Les guêpes ont bien compris que les raisins se gorgeaient de sucre intensément car elles sont particulièrement en nombre durant l’été. Lors des visites parcellaires, la date de récolte se dessine fin août et il n’y a plus qu’à attendre, l’état sanitaire frôlant la perfection.

Le mois d’août demeure chaud et se caractérise surtout par l’absence de pluie et du vent. Ce sont ces deux paramètres qui vont certes contribuer à maintenir un état sanitaire parfait, mais la vigne commence de montrer des signes de soif. Les feuillages si verts il y a encore quelques jours, ont du mal à résister et ci et là des feuilles de la zone du bas des pieds se teintent de jaune. Sans toutefois pouvoir dégager une tendance quant à l’âge, le sol, les méthodes culturales, les secteurs etc… certaines vignes souffrent et d’autres pas. Ce sera décidément l’année de tous les mystères où force est de constater que nous sommes loin de tout comprendre.

Dès le 13 août, les contrôles de maturités doivent débuter, il ne faut plus hésiter ; les raisins sont déjà moyennement dorés en chardonnay mais vraiment noirs en pinot. Au 17 août tout est prêt, les équipes sont plus mobilisées que jamais … je suis donc plus à l’aise de leur annoncer « c’est décidé, on commence demain ! ». C’est ainsi que nos premiers coups de sécateurs ont débuté le mardi 18 août sur les secteurs de Chaintré, mais aussi à Meursault et Beaune où les raisins sont savoureux, les pépins bien bruns et au goût de noisette. Les peaux sont souples et taniques, la couleur et les tanins des pinot seront sans doute assez faciles à extraire. Pour la première fois de son histoire, le domaine rentrera toute sa récolte sur le mois d’août, pour s’achever le 29 sur le secteur de Saint Romain.

Les vinifications se sont parfaitement déroulées en blanc comme en rouge et les équilibres qui se dessinent dans nos vins sont extraordinaires, et, avouons-le, assez inattendus. Le côté solaire du millésime est là, mais les vins révèlent une impressionnante fraîcheur aromatique. Les acidités sont bien présentes et les densités se ressentent d’ores et déjà. Les blancs ont du fond, sans degré alcoolique trop élevé. Les tanins des rouges sont souples mais puissants.

Auteur : Ludivine Griveau – 5 Novembre 2020